Installée à Malakoff, la fonderie Godard reste aujourd’hui l’une des dernières maisons à travailler la fonte au sable et à la cire perdue, selon les antiques traditions du métier. Œuvrant aussi bien pour des artistes de renommée internationale que pour les musées Rodin et Maillol, sa production témoigne d’une excellence depuis trois décennies. Reportage chez les derniers seigneurs du bronze. Les artistes de renommée internationale, les musées Rodin et Maillol font appels à leur excellence depuis plus de trente ans. Une visite en images chez les derniers seigneurs du bronze. Photos © Didier Raux – Source Jean-Philippe Ancel (magazine 92 Express) – Voir l’article (PDF)
Partant du modèle apporté par l’artiste, un premier moule en élastomère est réalisé qui permettra d’obtenir en passant comme en photo du “négatif” en “positif” à un second moule qui se présente comme un double de l’original avec un vide central qui est rempli d’un amalgame fait de plâtre, de sable et d’eau. Étape fondamentale dans ce long processus, le modelage de la cire exige la plus grande minutie et relève de la sculpture pour éviter les moindres défauts de surface jusqu’à un millimètre d’épaisseur…et donc des imperfections lors de la fonte
À l’heure du plâtre, minutieusement apprêté, le moule de cire est enduit d’une forte couche de plâtre que l’on consolide de clous pour fixer la structure. C’est cet ensemble que l’on cuira plusieurs heures à 700° dans un four pour permettre à la cire de s’échapper – d’où le nom de “cire perdue” donnée à cette technique millénaire – et de laisser libre l’empreinte définitive que le bronze remplira lors de la coulée.
Préalablement enterrés dans le sol de sable réfractaire qui est longuement tassé lors de la traditionnelle “danse des fondeurs”, les moules – ici de grandes pièces de plus d’un mètre de haut
Dans la forge de Vulcain! Mis en chauffe depuis la veille, le four à gaz doit être porté progressivement au point de fusion du bronze pour que la coulée s’opère. Remuant l’alliage de cuivre – près de 60 % du composé – et d’étain sans relâche dans une ambiance quasi infernale, le fondeur travaille à la limite du possible malgré ses protections en amiante…
“À chaque fonte, c’est la même magie qui recommence ; je ne m’en suis jamais lassé en vingt ans de métier…”, avoue l’un de ces visages éreintés alors que tombe sur lui la cendre comme en hiver la neige.
Dans le chaudron de l’enfer, de grandes pièces de plus d’un mètre de haut sont remplis de bronze en fusion. Le moment est crucial car pour obtenir un rendu impeccable de la surface de la pièce, le bronze doit être à température idéale de fusion et la coulée faite sans interruption. Dans une chaleur à peine supportable, le creuset d’une centaine de kilos tenu à bout de bras par l’équipe aux gestes millimétrés libère la pâte crépitante dont il faut se protéger des projections mortelles. “ C’est le moment le plus délicat. Je ne connais pas une seule fonderie où il n’y ait pas eu de mort lors d’une coulée ”, lâche d’une voix rauque l’un des artisans le dos rompu par l’effort…
L’art des patines. Selon les souhaits du commanditaire, il faut à présent réaliser la patine voulue qui sera évidemment unique. Elle s’obtient en appliquant au pinceau une couche d’acide qui est à la fois rincée à l’eau et chauffée au chalumeau. Un art des couleurs, du noir à l’or…
“C’est aussi ce qui fait le prestige de notre maison, ce soin que nous mettons à être attentif aux souhaits des artistes, à essayer d’être nous-même des artistes”.
“Notre fierté, à nous les fondeurs, c’est que nous faisons un travail entièrement au service de l’art et des artistes qui nous confient leurs œuvres. Et pour ça, on a pas le droit de les décevoir”.
Les dernières retouches… Sous le contrôle de l’artiste venu vérifier avec appréhension le résultat de la coulée, le temps est venu pour l’œuvre de passer entre les mains expertes du maître ciseleur dont la précision d’orfèvre permet de rectifier les quelques défauts inévitables et de signer la pièce. Une dernière beauté faite amoureusement et sans compter son temps.
Le magasin des gloires passées. Située dans les tréfonds de l’atelier, la réserve des moules constitue la mémoire de la fonderie en même temps qu’un fantastique catalogue à l’éclectisme déroutant. En règle générale, chaque moule peut servir plusieurs fois pour l’artiste et chaque épreuve comporte un numéro d’ordre et le chiffre total du tirage.
“Plus qu’une équipe, une famille…” Alors qu’est revenu le calme dans l’atelier et que le four repose à nouveau, les hommes, épuisés, peuvent se féliciter de l’œuvre accomplie. Groupés autour de Ludovic de Cristofaro (en caban noir sur la photo), ils se sont une fois de plus mesurés ensemble, en “famille” disent-ils, au mystère du feu…
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Si l’origine de la fonderie Godard est mal connue, il semblerait toutefois que l’on doive le début de cette aventure, au départ sans doute parisienne, à un certain Désiré Godard qui produisit un certain nombre de bronzes pour des sculpteurs dont Rodin, Carpeaux, Bourdelle ou Picasso. Son fils Émile racheta en 1962 à Malakoff l’atelier du fondeur italien Mario Bisceglia, installé en France au début du XXe siècle et qui travailla régulièrement pour le Dijonnais Henri Bouchard (1875-1960), décorateur du paquebot Normandie et dont l’Apollon orne la terrasse du palais de Chaillot. Depuis 1976, C’est Ludovic de Cristofaro qui en préside les destinées. Si elle travaille principalement pour des artistes et des musées, la fonderie Godard est aussi ouverte à tout un chacun souhaitant venir y faire couler un bronze dans les règles de l’art.