Enfoui sous vingt mètres de calcaire, le royaume souterrain des Caves du Roi court sur plus de trois kilomètres de galeries. De salles voûtées en croisées d’ogives, son exploitation relève d’un mystérieux périple chthonien au cœur de trois siècles d’activités vinicoles puis brassicole. Bienvenue dans l’antre de Bacchus ! Photos © Didier Raux – Source JP Ancel (magazine 92 Express ) – Voir l’article PDF
Au paradis des tonneliers… Nommée “salle des tonneaux”, cette pièce est l’une des plus impressionnantes de ce royaume englouti: cimetière de barriques, cette pièce aux vastes proportions est une ancienne glacière de 500 m3 qui servait à recevoir les énormes quantité de glace indispensable pour réfrigérer les salles de fermentation
“Vous qui entrez ici…” Servant à la fois de soutènement et de mur de barrage entre les salles de stockage, ce monde souterrain a ses portes dont les restes de tonneaux gardiens décomposés, gisent dans le souvenir du travail des ouvriers qui faisaient résonner les voûtes maintenant silencieuses.
Royaume abandonné. Réoccupées par les brasseurs à partir de 1850, les anciennes caves se sont peuplées de modernes installations électriques dont les vestiges sont encore visibles composent, ici dans l’étage inférieure, une ambiance que n’aurait pas renié Jules Verne, qui souvent vint à Sèvres chez son éditeur Jules Hetzel, à quelques encablures d’Albatros de cet étrange royaume digne de Robur
Cathédrale engloutie. Soutenant le ciel des galeries – parfois comme ici à près de huit mètres, les carriers ont élevé leurs piliers de soutènement selon les règles de l’art. Achevées ou d’attente, les croisées se tendent au-dessus des salles où l’on stockait avant leur expédition les tonneaux de vins destinés à la table du Roi. Bacchus en son temple…
L’armée immobile. Dernier vestige de cette unité de production qui fut parmi les plus importantes de France, seule demeure aujourd’hui l’armée immobile des souvenirs engloutis. Un dernier rêve de verre et de fer de ce qui fut l’âge des Brasserie de la Meuse à Sèvres…
Vénus décapitée… Œuvre anonyme des carriers dans leurs instants de loisirs, cette étrange “femme sans tête” – passée sous son nom de postérité… attend peut-être pour l’éternité le retour de celui qui nous priva à jamais de son regard
En fond de cale… Ces coursives tapissées de métal permettaient de relier les installations frigorifiques aux cuves de fermentation par plus de dix kilomètres de tubes de fer dans lesquels circulaient une solution de sel marin refroidie à -8°. Derniers vestiges importants de cette époque, elles font figure aujourd’hui de vaisseaux échoué
Géants endormis. Construite en béton armé, les quarante cuves de fermentation du site – ici la n°17 – étaient réfrigérées et revêtues d’un enduits spécial, le gallodana, utilisé à partir du début XXe siècle pour remplacer les foudres en bois (d’une capacité de 50 à 300 hectolitre), trop onéreux et surtout trop coûteux en personnel pour leur entretien
Vous avez dit poudrière ? Cette salle que soutient un pilier d’une voûte d’arête – typique de l’architecture militaire du XIX e siècle – pourrait être assimilée à un vestige de la poudrière d’un fortin installé tout près d’ici
Aux portes du domaine. Située à la hauteur du 6 rue des Caves, l’entrée de cet univers est aujourd’hui recouvert par des immeubles d’habitation dont les piliers des fondations font un ciel de béton à ce qui était le flanc de coteau
Les brasseries de la Meuse sur les coteaux de Sèvres
Au début du XVIIIème siècle, les marchands de vin privilégiés du Roi installent leurs caves à Sèvres. Ces marchands successifs vont assurer l’approvisionnement de la cour et des Maisons royales jusqu’à la Révolution. Vins et champagnes reposeront dans ces caves que les propriétaires successifs agrandiront en creusant des galeries sous la colline. Ensuite les Caves du Roi vont alors être reconverties en brasserie (société des caves du roi) par Jean-Baptiste Reinart en 1847. Ce dernier est déjà propriétaire de brasseries en Moselle et profite de l’ouverture de la ligne de chemin de fer Paris-Versailles pour inaugurer sa brasserie de Sèvres. Il réaménage toutes les caves à vin et installa la brasserie dans le fond de la cour. Il doit également convaincre la population locale incommodée par les émanations et les machines à vapeur. L’invasion prussienne, de 1870, entraîne la fermeture de l’entreprise qui sera rachetée en 1873 par le brasseur autrichien Maurice Fanta. Après-guerre, l’heure est à l’automatisation et à la concentration des sites de production. L’exploitation des Caves du Roi s’arrête le 31 décembre 1949, les galeries étant de plus en plus endommagées par l’urbanisation en surface. En 1966, les brasseries de la Meuse sont absorbées par la société européenne des brasseries (SEB). En 1985, le site est démantelé et vendu à une société immobilière qui rase l’ancienne usine au profit d’un immeuble moderne qui s’appuie sur l’ancien coteau calcaire. Il ne reste de ces trois siècles d’histoire que les carrières souterraines. Aujourd’hui, seules subsistent quelques galeries visitables lors des journées du patrimoine.