patrimoine

L’histoire sensuelle de l’expression : «Essuyer les plâtres»

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On le sait, le français regorge de mille et une anecdotes, souvent subtiles et parfois même grivoises. Claude Duneton (1935-2012) était revenu sur l’une d’entre elles. Une historiette qui a commencé à la cour du roi pour finir dans de beaux draps… Au sens propre, essuyer les plâtres n’est qu’une image: c’est habiter pour la première fois une maison qui vient d’être construite, ou un appartement refait à neuf.

On occupe les lieux alors que les plâtres sont encore humides, ce qui cause de réels désagréments physiques. Sur un plan métaphorique, la locution veut dire que l’on est le premier à occuper un poste, une fonction qui vient d’être créée, avec tous les inconvénients liés à une période d’essai, aux tâtonnements inhérents à une organisation qui se met en place.L’expression a vu le jour au XVIIIe siècle, dans la poussée de fièvre que connut la construction urbaine sous Louis XVI, où Paris en particulier doubla sa surface une ville toute bâtie au plâtre. Louis-Sébastien Mercier exposait en 1783 les inconvénients de ces maisons neuves : «Les plâtres que l’on emploie dans la construction de ces maisons font beaucoup de mal, parce qu’ils sèchent difficilement, et que l’on habite imprudemment les édifices nouvellement bâtis. De là des paralysies et autres maladies, dont l’origine est attribuée à des causes étrangères.»

 

Des filles-éponges de joie. Il dévoile alors une coutume un peu surprenante, qui jette une lueur étrange sur ces logis nouveaux de la capitale: «On abandonne ces maisons neuves et humides aux filles publiques ; on appelle cela essuyer les plâtres.» (Souligné par lui.)

Pauvres filles-éponges de joie!… Théophile Gautier, évoquant plus tard ces pratiques d’Ancien Régime, confirmait le surnom «disgracieux mais énergique d’essuyeuses de plâtres» donné aux malheureuses qui constituaient en quelque sorte le bout de la chaîne des corps de métier… du bâtiment! «L’appartement assaini, ajoutait-il, on donnait congé à la pauvre créature qui peut-être y avait échangé sa fraîcheur contre des fraîcheurs.»

 

On comprend dès lors que l’expression «essuyer les plâtres» soit restée longtemps à prendre avec des pincettes. Cette origine infamante l’a tenue à l’écart des dictionnaires jusqu’en 1850, chez Bescherelle et encore elle n’y est entrée qu’au registre très familier ! Article du Figaro.

 

Retrouvez les chroniques de Claude Duneton (1935-2012) chaque vendredi.  Écrivain, comédien et grand défenseur de la langue française, il tenait avec gourmandise la rubrique “Le plaisir des mots” dans les pages du Figaro Littéraire.