Au printemps 2017, plasticiens, designers, graphistes et chorégraphes ont investi la ville pour nous donner leur vision du Havre, la « Porte Océane ». Parmi les projets artistiques les plus marquants : l’installation de Chiharu Shiota dans la « futuriste » église Saint-Joseph, au-dessus du Bassin du commerce, deux flux tendus qui défient la gravité : Impact, signé Stéphane Thidet ou bien encore le projet de Lang/Baumann, liant art et architecture. Parmi ces œuvres installées au cœur de la Ville, une dizaine restera de manière pérenne après 2017. De grandes expositions auront lieu en parallèle. Le célèbre duo Pierre et Gilles (havrais de naissance) partagera avec vous sa vision de l’art, sophistiquée et colorée, mêlant allègrement photo et peinture. Photos © Didier Raux
Love Love de Julien Berthier. “Le Love Love est un bateau retrouvé naufragé, donné avec affection par ses anciens propriétaires puis coupé en deux et lesté d’une nouvelle quille qui maintient sa poupe hors de l’eau comme s’il était en train de sombrer à 45°. L’étrange redondance du nom originel de ce modèle de petit voilier familial des années 80 prend ici une tournure ambigüe et pour le moins inquiétante. Le Love Love est ainsi un naufrage permanent. L’image figée d’un bateau dans les dernières secondes avant sa définitive disparition. Pourtant ce bateau ne coule pas, et la suspension de ce moment insinue un doute sur le drame qui se joue. Mieux, il navigue dans cette position. À y regarder de plus près, il est aussi un objet de plaisance fonctionnel et sûr, avec son siège dans la bonne position, ses moteurs et même son échelle pour aller se baigner. Le Love Love est donc une image et son contraire. Un projet qui refuse la catégorisation confortable du bien et du mal ou de l’inquiétant et du rassurant. Une image qui se propose de complexifier le réel plutôt que de le simplifier.”
Église Saint-Joseph de Chiharu Shiota. C’est un tourbillon de fils rouges, densément tissés, qui irradie la nef de béton de l’église Saint-Joseph. Une « accumulation d’énergie » (Accumulation of Power), comme son titre l’évoque, qui happe, tel un trou noir, les puissances spirituelles que l’édifice concentre. Comme dit son auteur, l’artiste japonaise Chiharu Shiota : “Une église est un lieu où les gens prient et se confessent. C’est également un lieu rempli d’énergie spirituelle, perceptible même pour les personnes qui ne sont pas croyantes. Dans mon esprit, chacun conserve cette énergie au plus profond de soi. L’église, elle, symbolise un lieu de puissance collective, où se concentrent pensées, vœux, idées et prières. Le tourbillon en laine rouge incarne ce pouvoir spirituel des personnes passées par l’église, accumulé comme dans une tempête. Sa position au-dessus du prêtre symbolise la puissance intérieure de ces personnes, chaque énergie individuelle venant renforcer l’ensemble.”
Catène de Containers de Vincent Ganivet. Elles toisent le port avec panache, saluant les navires arrivant. Elles trônent, ponctuant les perspectives, au commencement de l’immense rue de Paris. Elles, ce sont les deux arches monumentales que Vincent Ganivet a enchevêtrées entre mer et ville. Comme pour un jeu d’enfant géant, l’artiste a assemblé entre eux des containers multicolores. Une œuvre tout en grandioses paradoxes, tant ces mastodontes de métal dégagent une impression tenace de légèreté. Leurs durs angles droits ? La courbure de l’ensemble les met au défi et les adoucit. Habituellement bien en rang sur les cargos, bien empilés sur les quais, les voilà sens dessus dessous. Comme pris d’un désir fou de liberté.
Couleurs sur la plage de Karel Martens. Hautement symboliques pour l’ensemble des Havrais, les cabanes rythment chaque été la plage du Havre en constituant à la fois un emblème du territoire et une mémoire physique de ses habitants. Si elles représentent les premières vacances des classes populaires, elles abritent aujourd’hui un nombre toujours plus important de vacanciers venus profiter de la mer.Elles ont toujours été blanches et dénuées de toute ornementation. À l’occasion des 500 ans de la ville du Havre, Karel Martens a pensé une création sur mesure pour l’ensemble des 713 cabanes. Elle consiste en une mise en couleur extérieure de ces mini-architectures selon 6 bandes de largeurs différentes et 10 couleurs prédéfinies par l’artiste. Cette chorégraphie englobe toutes les cabanes, elle offre un nouveau panorama pour la ville et crée un sentiment d’unité dans la diversité
UP#3 de Lang/Baumann. La Porte Océane, ensemble emblématique de la reconstruction du Havre, a été dessinée par Auguste Perret et achevée en 1956. Ses deux tours symétriques, de part et d’autre de l’avenue Foch, forment une ouverture sur la mer. Jouant avec cette perspective, les artistes Sabina Lang et Daniel Baumann ont apposé une structure blanche rectangulaire dans l’axe des immeubles, sur la plage. La sculpture émerge des galets comme un immense portique se découpant sur l‘horizon. Monumentale et élégante, cette surface épurée, l’œuvre d’un blanc éclatant sait trouver le point d’équilibre entre objet usuel et ovni, ajout fonctionnel et construction de l’absurde.